CHPM

Christian Bühlmann (2013) « De la « nation en armes » à « l’armée de marché » – « la commodisation de la pensée militaire suisse» » in La pensée militaire suisse de 1800 à nos jours, Actes du Symposium 2012, Pully: Centre d’histoire et de prospective militaires.

Dans un récent article, intitulé Kritisches Denken bringt die Armee weiter, Bruno Lezzi constate la stagnation du débat sur le développement de l’armée suisse. Il regrette que notre politique de défense soit encore pensée à l’aune de la Guerre froide. Ni l’armée, ni le DDPS ne fournissent de véritables contributions stratégiques. Lezzi compare cet état de fait avec l’étranger, en particulier les États-Unis, où les officiers sont invités à débattre de manière critique des orientations doctrinales et stratégiques. Ces réflexions, considérées comme un pilier fondamental de la formation intellectuelle des officiers, constituent une partie intégrante de leur cursus professionnel. Il invite la Suisse à changer de paradigme et à accepter une pensée critique comme préalable à la transformation de l’armée.

La constatation de « l’anémie de la pensée militaire » n’est pas nouvelle. Mais la pauvreté de la réflexion militaire suisse contemporaine est-elle uniquement causée par un manque de formation et d’esprit critique des officiers ou n’est-elle pas aussi, ce que je postule dans cette contribution, la conséquence d’autres facteurs ?

J’avance ainsi que la pensée militaire suisse stagne notamment parce que la forme du lien entre l’armée et la Confédération suisse est en phase de transition. Cette attache évolue d’une forme traditionnelle de « nation en armes », une armée de citoyens décrite par David Rapoport, vers une « armée de marché », A Market Army, que le sociologue israélien Yagil Levy expose comme « l’émulation des pratiques du marché par l’armée ». La raison d’être de l’armée et sa perception par la population sont en mutation. La pensée militaire, considérée comme l’ensemble des croyances partagées sur l’emploi de la contrainte au sein d’une force armée, change en conséquence. Le passage vers l’armée de marché l’influence négativement: cet enchainement implique notamment une inversion de la relation entre l’armée et l’économie. Auparavant, les principes et les organisations militaires influençaient l’économie. Désormais, c’est l’économie qui inspire les forces armées. Cette transformation agit sur la qualité de la pensée militaire suisse, parce que cette dernière cristallise dans le domaine militaire les valeurs et les croyances politiques générales acceptées. D’autre part, la pensée de marché n’est pas adaptée à penser la guerre.

 

 

Syndication Links