Mon texte sur « la guérilla dans la doctrine militaire suisse », présenté en 2010 lors du 16ème symposium du CHPM, consacré au thème « Choc, feu, manœuvre et incertitude dans la guerre », a récemment été publié dans les actes du symposium.
Extrait de l’introduction
En été 2002, l’auteur a participé à une phase d’analyse, en amont de la rédaction du règlement militaire central de l’armée XXI, la Conduite opérative XXI. Le séminaire portait sur la nature de la conduite opérative. Il était clair que le niveau opératif met en œuvre, comme le suggérait déjà Clausewitz, la force dans l’espace et le temps[1]. Si les formes de l’espace et du temps étaient manifestes, l’opérationnalisation du facteur force fut quant à elle plus délicate. Il fallait revenir aux bases. Le cadre feu / choc / manœuvre, conceptualisé par le colonel d’état-major général Daniel Reichel (1925-1991) [2], formait un substrat prometteur. L’opus maximus d’Hervé Coutau-Bégarie, encore en phase d’extension, corrobora ce choix[3]. In fine, ces éléments créent les bases d’un chapitre du règlement, la nature de la conduite opérative [4]. La partie consacrée aux facteurs de la conduite opérative décrit l’emploi de la force dans l’espace, le temps, avec l’aide de l’information. La force est modélisée par quatre « éléments d’application de la force », le choc, le feu, la manœuvre et la protection[5].
Cette communication donne à ces concepts une assise plus concrète et montre comment ils peuvent servir d’outil simple d’analyse des conflits[6]. Partant d’une conception de la stratégie militaire où la violence sert de substrat à la résolution de conflits, cette contribution invite à faire le lien entre les éléments d’application de la force proposés par Reichel, les capacités militaires et les doctrines stratégiques des acteurs. En analysant la culture militaire à l’aune des choix de moyens d’emploi de la force ainsi que des notions de symétrie, de dissymétrie et d’asymétrie, il devient possible de reconnaître des lignes pérennes dans la réflexion militaire helvétique d’après 1815. Plus précisément, cette brève étude porte sur la culture stratégique suisse, comprise comme « un ensemble cohérent et persistant d’idées, propre à un contexte sociohistorique donné, qu’entretient une communauté à l’égard de l’usage de la force armée et du rôle des institutions militaires[7]». On y observe une articulation permanente entre deux perspectives, l’une qui regarde l’instrument militaire comme un moyen de contre-insurrection ou, plus généralement, de lutte contre des acteurs non-étatiques violents et l’autre qui envisage l’insurrection comme instrument de la défense populaire. La défense par l’insurrection se comprend comme une petite guerre menée par des partisans qui s’opposent à un occupant militaire. Il ne s’agit donc pas d’une guerre révolutionnaire, visant à gagner le cœur et l’esprit de la population : les stratèges suisses postulent que cette dernière fait bloc avec l’armée contre l’envahisseur.
Cet article comporte trois parties : (1) la présentation sommaire de trois conceptions militaires suisses, incorporant des éléments de guérilla, développées entre 1815 et 2005, (2) le développement du modèle basé sur les éléments d’application de la force qui est (3) appliqué aux trois cas décrits ci-dessus. Hommage au colonel Reichel, il montre la pérennité de sa pensée et de son application à l’analyse du «phénomène guerre.
[1] von Clausewitz, Carl, Vom Kriege, Bonn: Ferd. Dümmlers Verlag, 1966, en particulier le chapitre 11, Sammlung der Kräfte im Raum, p. 286 et le chapitre 12,Sammlung der Kräfte in der Zeit, pp. 287-294.
[2] Daniel Reichel (1925-1991), ancien directeur de la Bibliothèque militaire fédérale suisse et chef du Service Historique de l’Armée Suisse. Reichel est aussi le fondateur et le premier directeur scientifique du Centre d’histoire et de prospective militaires (CHPM). Voir Langendorf, Jean-Jacques, Bühlmann, Christian, Vuitel, Alain, Le feu et la plume, Hommage à Daniel Reichel, Bière: Cabédita, 2010.
[3] Coutau-Bégarie, Hervé, Traité de Stratégie, Paris: Economica, 2ème édition revue et augmentée, 1999, en particulier la section IV du chapitre V, les modalités de la stratégie, pp. 373-387.
[4] Chef de l’Armée, Conduite opérative XXI – Règlement 51.7 f, Berne: Armée suisse, ci-après COp XXI, pp. 15-17.
[5] COp XXI, op. cit., pp. 15-17.
[6] COp XXI, op. cit., pp. 14-20.
[7] Roussel, Stéphane et Morin David, «Les multiples incarnations de la culture stratégique et les débats qu’elles suscitent » in Roussel, Stéphane(éd.), Culture stratégique et politique de défense – L’expérience canadienne, Outremont: Athéna Editions, 2007, pp. 17-42.