Le professeur Martin van Creveld, historien militaire prolifique et stratégiste réputé, a visité le Centre de Politique de Sécurité de Genève (GCSP) le 12 février 2018. Il a donné une conférence sur le thème de « la transformation de la stratégie dans le turbulent 21ème siècle », en référence proclamée à son plus célèbre ouvrage, The Transformation of War. Publié juste après la seconde guerre du Golfe, ce livre présageait la fin des guerres trinitaires et anticipait l’émergence de conflits entre des États et des groupes armés non-étatiques.[1]
C’est à une relecture contemporaine que nous convia van Creveld. Devant une assistance acquise à son analyse, il a rappelé avec humour et de manière persuasive la persistance de sa réflexion. Il a tout d’abord souligné les dimensions pérennes de la guerre. Il a ensuite montré l’élément central de la transformation stratégique contemporaine, puis s’est attaché à décrire les conflits actuels comme non-trinitaires et intra-étatiques. En conclusion, il a questionné la capacité des démocraties libérales à s’adapter à ces changements sans perdre leur âme. Nous présentons ci-dessous les éléments centraux de son intervention particulièrement dense. La Dr Christina Liang, responsable du cluster « Terrorisme et crime organisé » au GCSP, a dirigé la discussion avec compétence.
L’intuition d’un rapport entre la guerre et l’État est ancienne : « Le conflit est le père de toute chose », avance Héraclite. Cependant, sous l’influence de la culture stratégique américaine, qui considère la conflictualité comme une activité industrielle, la conduite de la guerre moderne est souvent comparée à une activité de gestion (Bühlmann 2014, Levy 2010). Mais dans les faits, les conflits ne consistent pas seulement en des processus industriels et logistiques visant à créer un effet stratégique au bon endroit, au bon moment et avec l’intensité demandée. Pour appréhender les guerres du futur dans une approche plus large, il est nécessaire de dépasser l’étude de la transformation de la guerre pour s’attacher à l’influence de la mutation des conflictualités sur la forme de l’État occidental.
Je vais tout d’abord rappeler l’approche proposée par le politiste Charles Tilly (1992), puis j’esquisserai les contours des nouveaux conflits avec un modèle générationnel et avec celui des menaces hybrides. J’analyserai alors quelques conséquences de la modification de la guerre sur celles de l’État en m’attachant à deux aspects : (1) la transformation du système de gouvernement et (2) la représentation du citoyen.
Christian Bühlmann (2015) « Les nouveaux conflits transforment-ils les États modernes ? » in swissfuture – das Magazin für Zukunftsmonitoring 02+03/15, Luzern, SwissFuture 29-32, pp. 73 – 87.