J’ai été interviewé par Valérie Hauert dans le cadre d’une discussion de « Motion CPS-N.
Augmentation progressive des dépenses de l’armée » acceptée par le Conseil national. Je décris les grandes lignes de la réflexion sur laquelle j’avais basé mon intervention. Ce billet ne représente que ma position personnelle.
Sur le caractère historique de l’augmentation de budget
Le budget militaire suisse est un thermomètre de la perception des menaces en Europe par les élites suisses :
Il baisse en période de paix (Entre 1945-1946, il fut divisé par 3, après la chute du Mur de Berlin de plus de 50% 3,5 mia).
Il augmente lors de crises: lors de la guerre de Corée, le budget a doublé entre 1948 et 1952. Après la crise de Hongrie, il a encore augmenté de 25%. Il a passé de 4.3 à environ de 5 Mia en 2020 (11%).
L’augmentation de 30 % pour atteindre 7 milliards en 2030 permettra de stabiliser l’armée en remplaçant les système obsolètes plus rapidement ou avec davantage de moyens, mais pas de la transformer fondamentalement.
Utilisation de la manne supplémentaire
L’armée a publié en 2019 un Rapport sur l’avenir des forces terrestres, pendant du rapport Avenir de la défense aérienne de 2017 qui a servi à l’acquisition des F-35.
En particulier, le rapport présente trois options de développement de la composante terrestre de l’armée :
- Focalisation sur la défense militaire pure (robuste) avec des investissements de l’ordre de 10 mia de francs
- Focalisation sur des conflits hybrides avec des formations plus légères – 6 mia – que le Conseil fédéral a accepté.
- Option 2, avec une capacité à durer plus longue par l’augmentation des effectifs (de 100’000 à 120’000 militaires) – de 6 – 9 milliards. Le CN Zuberbühler a proposé cette option.
Par le passé, l’armée avait un masterplan qui analysait les lacunes, le priorisait et proposait des capacités pour les programmes d’armement. On pourrait s’en servir comme base.
Il y a deux variantes: acheter plus vite le matériel pour l’option 2 et renforcer l’option 2 pour obtenir davantage de résilience.
Le rapport peut servir de base abstraite pour les acquisitions. On peut imaginer que les adaptations des Forces terrestres iront dans le sens de l’option 3.
Les priorités sont les suivantes:
- Conduite (télécom, systèmes de commandement, …)
- Effets (armes à courte, moyenne et longue portée)
- Protection (blindages, systèmes de défense active)
- Mobilité (véhicules)
On peut envisager plusieurs formes de défense avec le même matériel, ou des formes de défenses similaires avec des matériels différents.
Le Parlement décide du cadre financier et du matériel. La manière dont l’armée prévoit de combattre un éventuel adversaire est définie par le Conseil fédéral ou le département de la défense. C’est un thème qui est relativement peu débattu.
Critique de la gauche sur le type d’acquisition envisagée et sur le scénario de la menace
Depuis que la Suisse moderne existe, les querelles sur le futur de l’armée forment un véritable champ de bataille.
Leur critique porte sur l’absence de menace terrestre sur la Suisse, les dangers cyber et les risques d’attaques par missiles de croisière. C’est une appréciation pertinente … aujourd’hui.
On peut apporter deux remarques:
- Premièrement, le matériel qui doit être acheté devra durer longtemps. Les petits enfants des militaires qui font leur école de recrue aujourd’hui vont encore utiliser le matériel que l’on va acheter dans les années prochaine en 2060. Les obusiers blindés actuels ont été achetés entre 1963 et 1974. Les F/18 acquis en 1993 seront encore utilisées à a fin de la décennie.Qui pourra savoir si, en 2060, la situation n’aura pas fondamentalement changé. Comme on ne sait pas ce qui va se passer, il faudra disposer de moyens qui permettent une grande liberté de manœuvre politique et militaire.Le reproche que l’on pourrait faire à la gauche d’un point de vue stratégique est une focalisation sur le court terme, en prévoyant une évolution optimiste à long terme.La pensée stratégique dominante est plus pessimiste et s’oriente sur les menaces les plus dangereuses, même si on pourrait rétorquer l’importance de façonner un environnement stratégique stable par des composantes non-militaires de la politique de sécurité.
- Deuxièmement, si l’Europe est attaquée, on peut imaginer des scénarios où la Suisse contribue à sa défense et à celle de ses partenaires, soit volontairement, soit parce qu’elle y serait contrainte.
Il faut alors disposer de matériels performant pour démontrer sa solidarité.
Développer une relation avec l’OTAN tout en respectant la neutralité
La neutralité est le déterminant central de l’armée suisse.
Selon la conception officielle de la guerre froide, elle oblige à disposer d’une armée forte.
Elle n’autorise pas d’alliance militaire avant un conflit.
Un rapprochement avec l’OTAN au travers du Partnership Interoperability Initiative PII comme Enhanced Opportunities Partners, permettrait participer à des exercices voire des opérations dans le cadre de l’OTAN, davantage de participation politique.
Au début des années 50 on s’est déjà demandé s’il fallait coopérer avec l’OTAN.
Le divisionnaire Waibel, en 1955, proposait de collaborer avec l’OTAN dans le domaine aérien et de se concentrer sur le domaine terrestre.
Dans les années 90, Kaspar Villiger pensait à contribuer à la défense de l’Europe, avec laquelle nous partageons une même culture.
Après l’ouverture des hostilités, la neutralité autorise des coalitions de circonstance, mais elles devraient être préparées à l’avance, sans quoi l’intégration des forces est illusoire. Or préparer une alliance automatique est contraire à la neutralité. Une solution passe par l’interopérabilité qui permet, sans automaticité, de collaborer au besoin avec l’OTAN.