Plusieurs courants qui animent la politique mondiale ont conduit à une renaissance des entreprises militaires et de sécurité privées (EMSP). Cette réviviscence des armées privées représente à la fois un indicateur de transformations fondamentales du système international et de l’État, son acteur majeur, ainsi qu’un marqueur de nouvelles formes de menaces. On propose dans cet article de préciser brièvement cette dynamique en explicitant la relation entre mercenariat, guerre et formation de l’État. Par une involution de cette causalité, on inférera en conclusion une modification potentielle de l’État nécessaire à la gestion des guerres nouvelles.
La sociologie historique du politique pour expliquer l’éclipse des entreprises militaires
Une des conceptualisations les plus achevées de l’influence de la guerre sur l’émergence et le développement de l’État européen revient à Charles Tilly. Le politiste américain renverse la perspective traditionnelle selon laquelle les institutions politiques (polities) représenteraient les déterminants de la préparation à la guerre. Au contraire, il avance que la structure de l’État nation « appeared chiefly as a by-product of rulers’ efforts to acquire the means of war » et affirme ainsi que « la guerre fait les État ».
Dans une perspective historique et occidentale, le développement de la guerre et celui de l’organisation étatique s’opère en boucle : l’État se renforce pour faire la guerre à ses concurrents tandis que la transformation de la guerre amène l’État à se consolider. En découle finalement, par effet de bord, l’affermissement de la représentation politique et de la démocratisation de ces États. Un changement majeur de la conduite de la guerre amène généralement une transformation conséquente du sous-système militaire qui, à son tour, peut remanier le système politique. Bernard Wicht affirme de manière concise que « l’État national est avant tout une machine de guerre ».
En d’autres termes, la transformation de la guerre a conduit à la formation de l’État national, qui a monopolisé la bureaucratie, la fiscalité ainsi que la violence légitime et déterminé une forme conflictuelle unique, la guerre interétatique. Ces forces ont, pour deux raisons, conduit à l’éclipse des entreprises militaires : premièrement, si la violence légitime ne devait appartenir qu’à l’État souverain, tout adversaire devait disparaître. Deuxièmement, l’État répondait de la violence originaire de son territoire vis-à-vis des autres États, même sans la cautionner. La suppression des entreprises militaires privées prévenait ces risques.