Christian Bühlmann (1996) « L’annexion de la Savoie par le France – du problème de la garantie d’intérêts hord-frontière » École militaire supérieure, séminaire d’histoire militaire, non publié.
Dès le XVIème siècle, alors que la maison de Savoie commence à s’étendre dans le Piémont, ses possessions originelles de l’Ouest des Alpes deviennent militairement vulnérables, parce que seuls des cols qui ne permettent pas des mouvements de grande ampleur relient les deux régions. Au nombre des solutions alors envisagées figurent – déjà – la neutralisation, voire la cession de la Savoie à la Suisse. Trois siècles plus tard, dans le but de désenclaver Genève, le traité de Vienne donne à la Suisse des communes sardes et françaises jouxtant la ville du bout du lac. En contrepartie, la Confédération doit assurer la protection du Nord de la Savoie et permettre le retrait des troupes savoyardes par le Valais.
Lorsque la Savoie est annexée par la France en 1860, la Suisse cherche, sans succès, à ce que le Nord de la Savoie lui soit cédé, de manière à garantir la défense de Genève.
Le problème de la neutralisation de la Savoie reste ouvert pendant la guerre de 1870 – 71 et la première guerre mondiale jusqu’en 1919, lorsque les puissances contractantes du traité de Versailles prennent acte d’un accord entre la France et la Suisse abrogeant le droit de la Confédération d’occuper militairement la Savoie.
Cet acte met fin à la neutralisation du Faucigny et du Chablais français, une « création originale du droit international »[1] qui ne trouve dans les livres d’histoire générale qu’une description limitée, dans laquelle on relève avant tout l’épisode anecdotique du débarquement de Genevois avinés à Evian[2].
Et pourtant, l’étude de la neutralisation de la Savoie en général, de l’annexion de cette province par la France en 1860 en particulier, n’est pas sans intérêt, bien loin s’en faut. Il ne s’agit pas tant de tirer cette page d’histoire des lois universelles, que, par une relecture contemporaine, de disposer d’éléments de comparaison pour apprécier les problèmes du présent.
En effet, la situation créée par la neutralisation de la Savoie en 1815 illustre plusieurs sujets qui ont leur résonance dans des conflits actuels, comme par exemple :
- La responsabilité et le droit d’intervention d’un pays étranger sur une zone démilitarisée par un accord international,
- Le droit d’occupation d’un avant – terrain opératif,
- La politique des échanges territoriaux de la Confédération et ses rapports avec la notion de patrie,
- Les stratégies de gestion des problèmes de frontière.
Notre étude se concentre sur la garantie d’intérêts militaires hors de la frontière, en s’appuyant avant tout sur les événements et les plans de 1860, tout en tenant compte du cadre dans lequel le traité de Vienne avait été conclu. Nous n’avons à dessein qu’effleuré les aspects politiques : ils sont au centre de la plupart des ouvrages qui abordent le sujet de l’annexion,[3] tandis que les aspects militaires sont dispersés dans la littérature et ne font pas l’objet de relations particulières.
1.1 Esquisse et justification de la structure thématique
Nous nous proposons d’étudier les intérêts militaires hors – frontière dans le cas de la Savoie, qui sont :
- La population savoyarde au milieu du XIXème siècle. Appartient-elle historiquement à l’entité confédérale de puissances qui deviendra la Suisse ou est – elle plus proche de la population franç? Dans le premier cas, il aurait pu, en 1860, s’avérer impératif de protéger cette population, voire, de la rattacher à la Suisse.
- La géographie militaire du secteur. Où les chefs militaires suisses du siècle passé ont-ils situé le terrain fort sur lequel il faudrait s’appuyer pour se défendre avec succè? Cette analyse est-elle encore actuelle ?
- La neutralisation de la Savoie par le traité de Vienne. Dans quels buts, quels effets militaires pour lade 1860?
Nous répondrons à la première question dans le cadre d’une approche historique de la Savoie ( chapitre 2.1 ) et aux deux autres dans une étude politico – militaire ( chapitre 2.2 ). Après avoir considéré les traités de Vienne et de Paris ( chapitre 2.2.1 ), nous étudierons les aspects de stratégie militaire qui rendent la Savoie intéressante tant pour la Sardaigne que pour la Suisse ( chapitre 2.2.2 ). Nous nous attacherons ensuite à savoir si la neutralisation de la Savoie est un devoir de la Suisse envers la Sardaigne ou un droit de la Confédération qui lui permettrait de disposer de frontières plus avantageuses au Sud ( chapitre 2.2.3 ).
L’aspect diplomatique ( chapitre 2.3 ) du problème est traité dans deux chapitres, l’un consacré aux négociations helvético – sardes concernant l’occupation ( chapitre 2.3.1 ), le second aux négociations franco – suisses pour la cession de la Savoie à notre pays ( chapitre 2.3.2 ).
L’aspect militaire ( chapitre 2.4 ) est composé de quatre parties : la première évoque les mouvements d’opinion en Suisse ( chapitre 2.4.1 ), la deuxième les mises sur pied de troupes en 1860 ( chapitre 2.4.2 ), la troisième le plan Wieland d’occupation de la Savoie ( chapitre 2.4.3 ) et le quatrième les engagements de troupes en Savoie dans le cadre d’une défense contre la France ( plan Stämpfli, chapitre 2.4.4 ). Les phases subséquentes jusqu’en 1919 sont finalement esquissées ( chapitre 2.5 ).
[1] Bonjour, Edgar, La Neutralité Suisse synthèse de son histoire, Neuchâtel : Les Editions de la Baconnière, 1979, p. 43.